La prostitution en question
(Pays-Bas et République Tchèque, avec les associations PIC, Bliss without risk & La Strada CZ)
 

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Pour approfondir le thème de la prostitution, nous avons rencontré trois associations : PIC, un centre d’information pour les prostituées à Amsterdam, Bliss without Risk, une ONG d’assistance et de prévention sanitaire pour les prostituées en République Tchèque, et La Strada CZ, la branche tchèhoque d’une ONG luttant contre le trafic humain. Entre ces 3 associations, qui abordent la question de la prostitution par des angles et dans des cadres légaux différents, les avis sur la stratégie à adopter pour protéger au mieux les prostituées tout en luttant contre le trafic humain sont également sensiblement différents.

Cela reflète la polémique que créé, quel que soit le pays, le débat sur la prostitution. Le sujet est très difficile, souvent tabou, il n’existe pas de solution miracle, et pourtant les enjeux sont importants. 

Souvent, au cours de notre séjour dans ces deux pays, nous avons abordé ce sujet avec les différentes personnes que nous rencontrions. Nous nous sommes alors rendues compte que si les avis sont souvent tranchés, les données et arguments pour les étayer sont souvent maigres ou erronées – et qu’en partageant celles que les associations nous donnaient, leur position pouvaient changer. Il est donc très important d’avoir ce débat, d’écouter les arguments en faveurs des différentes solutions, les témoignages et rapports sur les différentes expériences, avant de se faire sa propre opinion.

Ce mini dossier a pour objet d’apporter quelques éléments de réflexion sur ce thème, sans bien sûr se vouloir exhaustif : il fait une synthèse des échanges et informations que nous avons eues avec les associations rencontrées ainsi que d’un certain nombre de ressources complémentaires que nous avons consultées et que nous trouvons pertinentes. 

La prostitution en bref

La prostitution consiste à échanger des relations sexuelles contre une rémunération. Si les deux sexes l’exercent, cette activité est principalement exercée par des femmes (estimées à 80 à 90% des prostitués), et consommée par des hommes. Cela explique pourquoi la prostitution est souvent envisagée sous l’angle des rapports hommes/femmes et que l’on parle principalement des prostitués au féminin. Toutefois, il ne faut bien entendu pas oublier que la prostitution masculine existe et a existé depuis les civilisations antiques, que sa proportion a augmenté ces dernières années, et que de plus en plus de femmes font elles aussi appel à leurs services – mêmes si les hommes restent leurs principaux clients. 

Les milieux sociaux et pays d’origine des prostitué(e)s montrent que ces personnes sont souvent des issues des populations les plus vulnérables (populations à faible revenus, immigrants). 

En 2010, la prostitution a engendré, dans le monde, 187 milliards de dollars, soit plus que le PIB de la Norvège ou du Danemark. En 2004 en France, le nombre d’hommes clients de la prostitution était estimé à 12% des français. La prostitution a donc un poids économique et social majeur. Or, elle est souvent considérée par les sociétés comme un problème pour les raisons suivantes :

  • Le trafic d’êtres humains et le crime organisé qui y sont souvent associés. Une enquête menée par la CIA estime que de 700 000 à 2 millions de femmes et d’enfants font l’objet de trafic dans le monde chaque année, que 99% des personnes victimes de trafic sont des femmes et que la vaste majorité de ce trafic est à des fins de prostitution.
  • Le risque de transmission des MST qu’elle représente
  • Le lien fort qui existe entre drogue et prostitution
  • Les violences souvent subies par les prostitués
  • Les questions sociales qu’elles posent, en particulier en termes de marchandisation des corps et des rapports homme/femme.   

Un débat houleux et complexe

En trame de fond des débats concernant la prostitution se trouvent les principales oppositions théoriques et morales suivantes :

La prostitution : un travail comme un autre ou une violence à combattre ?

Même s’il existe des opinions relativement variées concernant la prostitution, deux thèses principales s’opposent.

Selon la première, la prostitution est un métier comme un autre, une profession librement choisie. Il ne s’agit pas de louer son corps mais ses services. C’est notamment l’idée défendue par les regroupements de travailleuses du sexe qui ont vu le jour à partir des années 70. Celles-ci rejettent le statut de victime qui leur est le plus souvent attribué, qu’elles vivent comme une stigmatisation, et qui, selon elles, affecte leur travail et rend leurs conditions de vie difficiles. Ainsi Mariska Major, fondatrice du Prostitution Information Center aux Pays-Bas et ancienne prostituée, confie dans une interview («Sex Trafficking in the Netherlands ») que ce qui était le plus dur pour elle en tant que prostituée, c’était que les gens la regardent systématiquement comme une victime, avec de la pitié dans les yeux, et que cela la faisait se sentir toute petite.

La prostitution relève selon cette thèse du droit à chacun de disposer de son propre corps comme il l’entend. A partir de là, la problématique consiste à établir une égalité de droit : le droit de travailler dans de bonnes conditions et d’être reconnues socialement – c’est-à-dire de normaliser le travail de prostitué. 

(© Photo: Juliana da Costa José --
Juhu sur Wikimedia Commons)

Selon l’autre point de vue, la prostitution n’est pas un métier comme les autres. L’exemple le plus souvent pris est que même les personnes défendant l’idée que la prostitution est un métier comme un autre ne souhaiteraient pas à leur enfant de se prostituer. 

La prostitution constituerait toujours une forme violence, qui plus est principalement une violence des hommes à l’égard des femmes. La prostitution revient à considérer le corps du ou de la prostituée comme un objet, une marchandise, qui peut être à louer. Cela revient donc à nier l’humanité de cette personne, son individualité, son originalité. Il s’agirait un mal social, qui nuit à l’égalité des sexes : il ne pourrait y avoir d’égalité de genre tant que les hommes pourront acheter, vendre et exploiter des femmes. 

Mais surtout la prostitution, qu’elle ait ou non été choisie, entraînerait de graves séquelles - principalement dues au fait de subir des rapports sexuels non désirés de manière répétitive. C’est ce que semblent démontrer plusieurs études. Une étude américaine faite dans 5 pays (USA, Zambie, Turquie, Afrique du Sud et Thaïlande) auprès de personnes prostituées a montré la présence de troubles psychiques (dont fait partie la dissociation psychique) analogues à ceux diagnostiqués chez les vétérans de la guerre du Vietnam, chez 67% de ces personnes prostituées (statistique semblable à celles obtenues avec personnes ayant subi des actes de tortures et aux prisonniers politiques): c’est ce que l’on appelle le PTSD (Post Traumatic Stress Disorder), dans lequel peut s’intégrer une décorporalisation (semblable à une anesthésie corporelle, connaissent ainsi des seuils très élevés de résistance à la douleur). Les prostituées rencontreraient également des troubles de la sexualité : tronquée, dysfonctionnelle, ou absente. Les subterfuges utilisés pour se protéger des sensations physiques liées à la relation sexuelle dans la situation prostitutionnelle "contaminent" la vie privée, et détruisent la qualité des relations sexuelles privées que ces personnes peuvent avoir. Ces effets psycho-traumatiques seraient, entre autres, ce qui différencie fondamentalement le «métier» de prostituée d’autres métiers réputés difficiles, auxquels s’ajoutent d'autres atteintes à l’intégrité du corps (problèmes immunitaires, troubles cutanées, problèmes gynécologiques et dermatologiques). 

Enfin, les prostitués sont très largement victimes de violences. En 2003, la clinicienne Melissa Farley a conduit une étude dans 9 pays (Canada, Colombie, Allemagne, Mexique, Afrique du Sud, Thaïlande, Turquie, Etats-Unis et Zambie) en interviewant 854 prostitués actifs et dans des situations très diverses : 71% des personnes prostituées ont subis des violences physiques avec dommages corporels (clients, proxénètes), 63% ont subis des viols, 64% ont été menacées avec des armes, 75% ont été en situation de SDF à un moment de leur parcours. De même, une étude prospective aux USA sur 33 ans de 1969 femmes (John J. Potterat, 2003) a montré que pendant la situation prostitutionnelle les personnes prostituées ont un taux de mortalité bien plus important que la population générale (femmes de même âge, mêmes origines) 459/100 000 contre 5,9/100 000 (x78) avec une moyenne d’âge de décès à 34 ans les causes de mortalité sont l’homicide, la prise de drogues, les accidents, l’alcool, la situation prostitutionnelle est l'activité la plus à risque de mort par homicides (clients, proxénètes) avec 204/100 000, le métier le plus dangereux aux USA étant à 29 homicides /100 000 pour les hommes et 4 homicides/100 000 pour les femmes). La question restant toutefois, concernant ce dernier argument, de savoir si ces faits sont circonstanciels (en particulier législation existante dans les pays concernés par l’étude, soutien existant pour les prostituées, acceptation sociale des prostituées, …) ou bien inhérents à la prostitution.  

Y a –t-il ou non un véritable choix de la part des prostitués d’exercer cette activité ?

Il s’agit d’une question intimement liée à la première et qui fait tout autant débat.

Certains pensent  que les personnes n’entrent jamais dans la prostitution par véritable choix. C’est notamment le cas de la Suède : « aucune prostitution ne peut être considérée comme volontaire ». (Swedish Study on Prostitution). Quand il n’y a pas trafic, il y aurait du moins déterminisme social : celles-ci ne décident pas de façon libre et éclairée d’entrer dans la prostitution, mais y sont entraînées par un ensemble de facteurs sociaux, politiques et économiques : 

  • la pauvreté et la vulnérabilité sociale. Un profil commun semble en effet rejoindre les prostitués, qui seraient davantage des femmes vulnérables, pauvres et marginalisées. Beaucoup proviendraient de milieux modestes où existaient des tensions ou des problèmes d’alcool ou de drogue. Selon Lilian Mathieu (2003 :6) les contraintes économiques impliquent que « l'engagement dans la sexualité vénale n'est jamais un acte volontaire et délibéré ». Il explique que la « prostitution représente […] une des rares voies d'accès à un niveau de vie auquel une origine sociale modeste et un faible niveau de compétence ne permettent pas d'arriver ». Les personnes prostituées ne seraient là que parce qu’elles n’ont pas d’autre choix. Selon une étude internationale visant à identifier les besoins de femmes prostituées, 92% ont dit souhaiter pouvoir quitter la prostitution. Cette possibilité était mentionnée bien avant toute autre alternative, que ce soit la formation, la légalisation ou la protection par un proxénète. Dans une autre étude qu’elle a menée auprès de 45 travailleuses de maisons closes légales réalisées au Nevada,  81% voulaient sortir de la prostitution.   
  • les antécédents d’abus sexuels.  Judith Trinquart a ainsi déclaré qu'en France on « recense entre 80 et 95 % d'antécédents de violences sexuelles chez les personnes prostituées originaire du pays » (citée dans Chaleil, 2002 :11). Silbert et Pines (1981, 1982a, 1982b et 1983) ont eux aussi produit plusieurs articles dans lesquels elles ont établi une relation positive entre la violence sexuelle subie pendant la petite enfance et la décision ultérieure de se prostituer. Les auteures ont demandé à 200 prostituées et ex-prostituées de la région de la Baie de San Francisco de remplir un questionnaire sur les agressions sexuelles qu’elles avaient subies. Selon les données, 60 % des répondantes avaient été victimes d’abus sexuels pendant leur enfance. Toutes les répondantes avaient subi des agressions physiques et psychologiques. Bon nombre (2/3) des répondantes avaient été agressées sexuellement par une figure paternelle, et la plupart ont déclaré que les abus sexuels subis pendant leur enfance avaient influé sur leur décision de se livrer à la prostitution. De multiples raisons expliquent le lien entre abus sexuels et prostitution : sentiment de dévalorisation de son corps, désir d’autodestruction ou de vengeance. Ceux qui argumentent pour l’absence de choix considèrent que ce lien fort entre abus sexuel pendant l’enfance et prostitution montre qu’il y a plus traumatisme et déterminisme social que réel choix.


Pour d’autres, il y a une distinction nette entre la prostitution choisie, qui doit être tolérée, et la prostitution subie, jugée plus marginale et qui elle doit être considérée comme du crime organisé. Certes, la prostitution peut être choisie pour des raisons économiques, mais les personnes décident en connaissance de cause d'exercer le métier du fait qu'il rapporte plus que beaucoup d'autres emplois. Beaucoup de métiers sont eux aussi choisis par nécessité, certains même font l’objet d’une certaine forme d’exploitation, ne suscitent pas de « vocation » à proprement parler, et pourtant font l’objet d’une acceptation sociale. La personne pourra très bien ne pas aimer cela, se faire exploiter, et pourtant on ne remettra pas en cause son libre choix et on ne se révoltera pas ou ne lui interdira pas ce métier. En voulant défendre les prostitués, on s’ingère dans leur vie, et on parle à leur place.  Quand quelqu’un affirme être travailleur(se) du sexe par choix, il serait irrespectueux et infantilisant de prétendre qu’il ne sait pas ce qu’il dit. 

Mariska Majoor expliquait ainsi dans une autre interview :

« Si quelqu’un choisi lui-même cette profession, et travaille de façon saine et responsable, il ne devrait y avoir aucun problème avec la prostitution. Puisqu’il y a des problèmes, c’est au gouvernement de réguler la prostitution de façon  à ce nous puissions apprendre vivre et laisser vivre les autres, en respectant le choix de chacun. » 

 


© Henri de Toulouse-Lautrec [Public domain], via Wikimedia Commons

La prostitution, un fait social inéluctable ?

Présentée comme « le plus vieux métier du monde », beaucoup affirment qu’elle est inhérente à la société humaine. Quoi que l’on en pense, prétendre vouloir la supprimer serait du pur idéalisme, un refus de vouloir accepter la réalité :

« La prostitution est un fait ; elle a toujours existé et ne cessera jamais. Ce que vous en pensez n’a pas d’importance. C’est pourquoi nous pensons qu’il est important de ne pas interdire la prostitution, mais de mieux l’organiser, sinon les problèmes ne feront que s’aggraver. » (Prostitution Information Center)

A l’inverse, d’autres pensent que ces considérations ne sont pas recevables :

« Lutter contre le racisme ou la torture est aussi une utopie permanente et personne n'y trouve à redire. »... « L'esclavage n'a pas été éradiqué mais il a bel et bien été aboli. » (Tribune publiée sur Médiapart en 2012 par des défenseurs de l’abolitionnisme en France)

Penser ou non qu’il est possible de supprimer le phénomène de prostitution est un élément déterminant dans le discours politique vis-à-vis de la prostitution. Ainsi, même si certains pensent la prostitution comme une forme de violence, la jugeant inévitable ils préfèrent opter pour la régulation.  

La prostitution d’ «utilité publique» ?

La prostitution existe parce qu’il y a une demande, parce que des hommes considèrent légitime de pouvoir avoir accès à des femmes (ou parfois des hommes) qu’ils paient pour satisfaire leurs désirs sexuels. Plusieurs croient en effet que les pulsions sexuelles masculines doivent trouver un exutoire. C’est à ce titre que la prostitution est souvent présentée d’une part comme la réponse à un besoin sexuel des hommes, d’autre part comme un rempart nécessaire contre le viol.

L’UNICEF critique ce mode de pensée, et affirme que « aucun impératif biologique n’impose un nombre fixe d’orgasmes par jour, par semaine ou par an. Les individus peuvent occasionnellement trouver déplaisant de ne pas éprouver le paroxysme du plaisir sexuel, mais le fait qu’il n’y a personne pour les amener à l’orgasme ne constitue pas exactement une menace pour leur survie.» De plus, prostitution et viol coexistent toujours, et dans les pays où la prostitution est prohibée, les viols n’augmentent pas. 

A l’inverse, la prostitution est présentée comme ayant des effets négatifs sur les rapports hommes/femmes au sein d’une société. Au cours d’une étude menée au Québec par la Gazette des femmes,  75% des femmes et 63% des hommes interrogés considèrent que la prostitution est dégradante pour toutes les femmes, parce que la prostitution véhicule le message que le corps des femmes peut être considéré comme une marchandise.

 


© Tomas Castelazo (Own work) [CC-BY-SA-3.0 via Wikimedia Commons

Les différentes approches légales

La prostitution fait bien évidemment souvent l’objet de débats et prises de position politiques, divisant les réglementaristes, les abolitionnistes et les prohibitionnistes. 

Les réglementaristes considèrent la prostitution comme une profession normale : les prostituées sont des travailleuses du sexe et il faut réglementer et réguler cette activité professionnelle au même titre que les autres. Il s’agit donc de protéger les droits des travailleurs, assurer qu’ils travaillent dans des conditions de sécurité et sanitaires satisfaisantes et qu’ils ne subissent pas d’abus de la part de leur employeur.  Les offres de travail dans la prostitution peuvent alors faire partie des offres proposées par les agences nationales pour l’emploi, et il peut exister des formations et diplômes reconnus au même titre que pour les autres professions. L’activité devient une activité économique comme une autre : on s’intéresse alors à sa croissance économique et au respect des lois qui régissent la concurrence. Les pays qui adoptent cette démarche sont notamment : les Pays-Bas, l’Allemagne, La Turquie, la Tunisie, la Suisse, la Hongrie, la Grèce et l'Autriche. 

Les abolitionnistes considèrent au contraire que la prostitution n’est pas un métier comme un autre mais qu’il s’agit toujours d’une violence et d’une atteinte à la dignité humaine. Les abolitionniste ne cherchent toutefois pas réellement, contrairement à ce que leur nom laisse penser, à abolir la prostitution: les prostitués sont  jugés libre de faire ce choix, et leur activité est tolérée, dans la limite où elle de porte pas atteinte à l'ordre public. Les personnes prostituées sont aux yeux de la loi des victimes non-punissables (sauf en cas d'atteinte à l'ordre public) et les proxénètes des criminels. Les clients peuvent eux aussi, selon les législations, être sanctionnés en tant que corrupteurs. Cette approche est celle, entre autres,  de la Norvège, de l’Islande ou encore de la France.   La Suède, néo-abolitionniste, va plus loin, souhaitant réellement abolir la prostitution, la considérant comme une violation des droits de l'Homme, au même titre que l'esclavage. 

Enfin, les prohibitionnistes voient toute personne impliquée dans le secteur de la prostitution comme des criminels, qu’il s’agisse des proxénètes ou des prostitués. Les clients eux aussi peuvent être sanctionnés. Parmi les pays exhibitionnistes, on compte l'Égypte, le Maroc, Les Comores, Belize, les États-Unis (sauf dans dix comtés du Nevada, où elle est réglementée), l’Arabie saoudite, la Birmanie, la Corée du Sud, Émirats arabes unis, l’Iran et la République populaire de Chine.

Il s’agit ici seulement des grandes tendances, et il existe de grandes variantes entre les différentes politiques mises en place dans chaque pays au sein d’un même « courant » (interdiction ou non du racolage, du proxénétisme, existence ou non de zones de tolérance, systèmes d’accompagnement sanitaire des prostitués, sanction ou non des clients…). En Europe, deux de ces tendances sont principalement représentées : le réglementarisme et l’abolitionnisme. Seul quelques pays, comme la République Tchèque, sont prohibitionnistes, la République Tchèque ayant par ailleurs déjà envisagé à plusieurs reprises la légalisation de la prostitution ou l’installation de zones de tolérance. L’Union Européenne quant à elle penche plutôt pour une réglementation de la prostitution volontaire (« Prostitution, quelle attitude adopter ? », juillet 2007). Les exemples européens opposés les plus souvent cités sont ceux de la Suède et des Pays-Bas. 

Mais peut-être réduit-on trop le débat sur la prostitution à un simple débat législatif? La loi ne peut pas à elle seule régler les questions liée à celle-ci: elle fait appel à des mécanismes sociaux bien ancrés, et c'est un véritable travail de profondeur qu'il faut entreprendre, quelle que soit la direction que l'on souhaite prendre.  Un commentaire laissé sur un forum en ligne (par quelqu'un plutôt contre le phénomène prostitutionnel) illustre bien ce propos:

 «  Je suis aussi contre la prohibition, mais simplement parce que je pense qu’on n’abolira pas la prostitution (ni le capitalisme, ni la guerre, ni le chômage ou “la délinquance”) par décret. Il faut changer de société. Lorsque les conditions qui poussent les femmes à se prostituer disparaitront (et en premier lieu le patriarcat), la prostitution disparaitra d’elle-même (ou sera réduite à un phénomène insignifiant).»

La Suède « néo-abolitionniste »
Résultats d’expérience et critiques

En 1999, la Suède est le premier pays à avoir mis en place une politique abolitionniste punissant également le client, qui est passible d’amendes ou de peines de prison allant jusqu’à 6 mois.    

De façon générale, le gouvernement suédois se félicite des résultats obtenus, et nombre de pays abolitionnistes citent ce pays comme un exemple de réussite. En effet, selon un rapport suédois mené par le ministère de la Justice entre 2008 et 2010, le nombre de prostituées de rue a diminué de moitié en dix ans, quand le chiffre des pays voisins (Danemark ou Norvège) a triplé. Pour l’année 2008, la demande d’achats de services sexuels est estimée avoir diminué de moitié, passant de 13,6% à 7,8% parmi les hommes suédois. Au surplus, son taux de viols est stable (ni hausse ni baisse depuis la loi). Toutefois, il est important de mettre un certain nombre de bémols quant à cette apparente réussite : 

Des chiffres peu fiables

Il y a eu une réduction du nombre de prostituée dans les rues, mais il est impossible de savoir ce qu’elles sont devenues, et si elles continuent de se prostituer en intérieur. Il est très difficile d’obtenir des statistiques fiables concernant la prostitution clandestine, et les estimations d’un organisme à un autre peuvent facilement varier du simple au triple. S’appuyer sur les statistiques de prostitution de rue pour évaluer l’efficacité de la loi n’est donc pas suffisant. 

Des prostituées plus exposées à la violence et aux maladies

Selon l’étude « Purchasing sexual services in Sweden and the Netherland » réalisée en 2004 pour le gouvernement norvégien, les prostituées semblent être, depuis la loi en Suède, exposées à plus de violence. Les clients étant à présent considérés comme des criminels, tous les « clients normaux » ont été dissuadés. L’achat de services sexuels pour les clients « normaux » s’est tourné vers internet, tandis que seuls les clients malades et pervers (c’est-à-dire enclin à des relations sexuelles violentes, à rechercher l’humiliation de l’autre ou à inclure l’urine ou les celles dans le rapport) restent dans la rue. 

Or, face à une baisse du nombre de clients, et donc à une plus grande fragilité financière, les prostituées ne peuvent plus se permettre de choisir : elles acceptent donc des clients en lesquels elles n’ont pas confiance, qui se montrent souvent violents et refusent d’utiliser des préservatifs. Elles-mêmes sont plus facilement prêtes à accepter un rapport non protégé si on leur propose plus d’argent. 

De façon générale, les clients sont plus stressés, et il est difficile pour les prostituées de savoir si le comportement du client est étrange parce qu’ils sont dangereux ou seulement à cause du stress. 

Les prostituées sont plus facilement la proie de proxénètes, qui proposent de leur assurer une protection contre ces clients devenus dangereux. 

Par ailleurs, le gouvernement ne fait plus du tout d’action de prévention et de suivi sanitaire des prostituées, comme l’explique une ministre suédoise : « Nous ne faisons pas de réduction des risques en Suède. Parce que ce n’est pas la façon dont la Suède voit ça. Nous voyons cela comme une interdiction de la prostitution : il ne faut pas qu’il y ait de prostitution ». Il est également plus difficile pour les travailleuses sociales d’approcher les prostituées qui se réfugient dans la clandestinité. Les prostituées sont donc exposées à plus de risques sanitaires tout en ayant, en parallèle, moins d’accès aux dépistages et aux soins. 

La lutte contre les victimes du trafic rendue plus difficile

Le Bureau National de Police trouve que cette loi représente un certain obstacle à la lutte contre le trafic humain.  Auparavant, les procédures judiciaires pouvaient utiliser les témoignages des clients pour inculper les criminels. Or ceux-ci ne sont plus enclins à coopérer, étant eux-mêmes considérés comme coupables. De plus, la prostitution s’étant déplacée de la rue à l’intérieur, il est plus difficile pour les forces de police de repérer d’éventuelles victimes du trafic. 

Une « délocalisation » de la demande suédoise

Même si la demande de services sexuels semble, selon les estimations, avoir baissé en Suède, il est important de noter que les années 2000 ont vu une augmentation sensible du nombre d’hommes suédois venant passer quelques heures ou jours en galante compagnie dans les capitales baltes. La prostitution suédoise s’est donc au moins partiellement délocalisée dans les autres capitales voisines.

 

 

Les Pays-Bas réglementaristes
Résultats d’expérience et critiques

 

Les Pays-Bas ont choisi en 2000 de règlementer la prostitution. De la même façon que la Suède est souvent citée comme exemple de réussite par les abolitionnistes, les Pays-Bas le sont par les réglementaristes. Les prostituées ont maintenant, grâce à la légalisation, accès aux soins et aux services sociaux et leur travail est désormais reconnu comme un emploi en tant que tel. De plus, la sécurité est assurée au sein du Red Light District : en effet, dans chaque vitrine, les femmes disposent d'un système de sécurité (bouton permettant d'activer une alarme en cas d'agression) et des patrouilles font des rondes régulières afin d'intervenir en cas de problème. La mise en place de zones de tolérance a ainsi permis de réduire la violence à l’égard des prostituées de façon générale.  L’activité rapporte par ailleurs environ un milliard d’euros par an en impôts à l’Etat néerlandais

Toutefois, le bilan des Pays-Bas mérite lui aussi d’être nuancé. 

La légalité pour les unes, mais l’illégalité pour les autres

Pour obtenir une licence légale, les prostituées doivent être citoyennes de l’Union Européenne. Selon la Rode Draad, si la situation des femmes qui ont obtenu un permis d’exercer s’est effectivement améliorée depuis la légalisation, pour les autres (non citoyennes de l’Union Européenne), la situation est devenue bien pire. Avant, le travail des femmes immigrantes était toléré au même titre que celui des citoyennes européennes. Maintenant, elles sont considérées comme travaillant dans l’illégalité.

Une augmentation du proxénétisme et de la traite d’êtres humains 

En 2007, l’industrie du sexe avait progressé de 25 % depuis la légalisation de la prostitution. Il semblerait donc que la légalisation ait entraîné une augmentation de la demande même de prostitution. Cette ouverture de nouveaux marchés a attiré les trafiquants, qui ont notamment créé de nombreux bordels clandestins – et on remarque qu’au lieu de faire disparaître le trafic d’êtres humains, la légalisation l’aurait au contraire, selon les études, fait augmenté.  

Le trafic ne se serait pas seulement développé que dans le secteur clandestin, mais aussi dans le secteur légal. Selon la police, en 2011, 50 à 90% des prostituées en fenêtre et dans les maisons closes légales l’étaient contre leur gré.  

La stigmatisation n’aurait pas diminué

Selon certaines études, la légalisation n’aurait pas éliminé la stigmatisation sociale à l’endroit des prostituées. Personne ne souhaitant que la prostitution s’exerce dans son quartier, l’activité est limitée à des zones géographiques précises. De ce fait, l’image sociale de la prostitution n’a guère évolué. Pour obtenir un crédit, une assurance, ou l’ouverture d’un compte, les personnes prostituées doivent toujours faire face à la même réticence. C’est la raison pour laquelle nombre de personnes prostituées préfèrent rester dans l’anonymat et renoncer aux droits sociaux qui leur étaient promis. 

Un revirement politique

Depuis 2006, le Alderman d’Amsterdam (Assher), convaincu que le red light district génère un important trafic humain, souhaite revoir la politique vis-à-vis de la prostitution et a introduit diverses mesures visant à réduire la prostitution sous fenêtre : achat de bâtiments appartenant à l’industrie du sexe, passage de l’âge minimum légal pour se prostituer de 18 à 21 ans, et depuis décembre 2009, punition des clients de prostituées issues de la traite (avec un système de certificat affiché sur la vitrine de la prostituée). 

 

Pour obtenir une licence légale, les prostituées doivent être citoyennes de l’Union Européenne. Selon la Rode Draad, si la situation des femmes qui ont obtenu un permis d’exercer s’est effectivement améliorée depuis la légalisation, pour les autres (non citoyennes de l’Union Européenne), la situation est devenue bien pire. Avant, le travail des femmes immigrantes était toléré au même titre que celui des citoyennes européennes. Maintenant, elles sont considérées comme travaillant dans l’illégalité.
Une augmentation du proxénétisme et de la traite d’êtres humains 
En 2007, l’industrie du sexe avait progressé de 25 % depuis la légalisation de la prostitution. Il semblerait donc que la légalisation ait entraîné une augmentation de la demande même de prostitution. Cette ouverture de nouveaux marchés a attiré les trafiquants, qui ont notamment créé de nombreux bordels clandestins – et on remarque qu’au lieu de faire disparaître le trafic d’êtres humains, la légalisation l’aurait au contraire, selon les études, fait augmenté.  
Le trafic ne se serait pas seulement développé que dans le secteur clandestin, mais aussi dans le secteur légal. Selon la police, en 2011, 50 à 90% des prostituées en fenêtre et dans les maisons closes légales l’étaient contre leur gré.  
La stigmatisation n’aurait pas diminué
Selon certaines études, la légalisation n’aurait pas éliminé la stigmatisation sociale à l’endroit des prostituées. Personne ne souhaitant que la prostitution s’exerce dans son quartier, l’activité est limitée à des zones géographiques précises. De ce fait, l’image sociale de la prostitution n’a guère évolué. Pour obtenir un crédit, une assurance, ou l’ouverture d’un compte, les personnes prostituées doivent toujours faire face à la même réticence. C’est la raison pour laquelle nombre de personnes prostituées préfèrent rester dans l’anonymat et renoncer aux droits sociaux qui leur étaient promis. 
Un revirement politique
Depuis 2006, le Alderman d’Amsterdam (Assher), convaincu que le red light district génère un important trafic humain, souhaite revoir la politique vis-à-vis de la prostitution et a introduit diverses mesures visant à réduire la prostitution sous fenêtre : achat de bâtiments appartenant à l’industrie du sexe, passage de l’âge minimum légal pour se prostituer de 18 à 21 ans, et depuis décembre 2009, punition des clients de prostituées issues de la traite (avec un système de certificat affiché sur la vitrine de la prostituée).

 

 

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