Femmes touarègues
(Burkina Faso, avec l'association Tin Hinan)

 
Saoudata Aboubacrine

Activiste touarègue d'origine burkinabè et malienne, Saoudata Aboubacrine est actuellement Secrétaire générale du Comité de coordination des peuples autochtones d'Afrique (IPACC) et à la tête de TINHINAN, l'Association pour l'épanouissement des femmes nomades. Nous avons eu la chance de rencontrer cette femme pleine d’énergie au début de notre séjour au Burkina Faso.  Elle nous a accordé une interview, et nous avons tout de suite été fascinées par le sourire de cette femme, par sa combativité et son apparente aisance à mener le combat sur tous les fronts, que ce soit sur le terrain auprès des siens ou au sein des grandes institutions internationales. Elle devait, malheureusement pour nous, s'absenter plus d'un mois afin de représenter le peuple touarègue aux Nations-Unis, mais elle nous a présentées à l'ensemble de l'équipe de Tin Hinan, avec laquelle nous avons pu travailler et qui nous ont fait découvrir les différentes activités de l'association: tenue d'un stand de l'association au SIAO à Ouagadougou, ateliers de teinture à Gorom-Gorom et cours d'alphabétisation à Tasmakat, petit village du Sahel. 


Présentation de Tin Hinan
par Saoudata Aboubacrine

Tin Hinan est une organisation fondée par des femmes nomades dont les membres sont au Mali, Niger et Burkina Faso.  Nous sommes membre fondatrices de plusieurs réseaux dont l’IPPACC (Comité de Coordination des Peuples Autochtones d’Afrique, l’OAFA ( Organisation des Femmes Autochtones d’Afrique), Tasglat (Réseau des Organisations Pastorales Saharo-Sahélienne) et nous adhérons au CAUCUS Mondial des Peuples Autochtones et des Femmes Autochtones.
Tin Hinan qui veut dire femme nomade en tamashek est le nom de la reine mère ancêtre et fondatrice de la communauté Kel tamachek (touarègue). Selon les historiens, elle a existé des centaines d’année avant Jésus Christ. Selon le sociologue Marie-Claude Chamba, son tombeau se trouve à Abellassa dans le Sahara du Sud Algérien. Son squelette et ses bijoux avec lesquels elle a été enterrée se trouvent au musée de Bardeau à Alger à  plus de 2000 km de sa tombe. Les tombes des ancêtres sont sacrées et nous avons toutes une croyance spirituelle en relation avec eux.

Chez les nomades Kel tamachek connus sous le nom de Touareg, la femme est dépositaire de la culture, garante de l’unité et de l’honneur de la communauté. Elle apprend très tôt à prendre la parole sans en abuser et à bien réfléchir ses décisions. Cette position privilégiée reste à valoriser; c'est ce que l'association entreprend de faire, depuis sa création.

Chez les nomades Kel tamachek connus sous le nom de Touareg, la femme est dépositaire de la culture, garante de l’unité et de l’honneur de la communauté. Elle apprend très tôt à prendre la parole sans en abuser et à bien réfléchir ses décisions. Cette position privilégiée reste à valoriser; c'est ce que l'association entreprend de faire, depuis sa création.


La femme tamachek au XXIe siècle
par Saoudata Aboubacrine

En Afrique de l’Ouest et du Nord, les Touaregs ont toujours été confrontés à d’énormes barrières socio-économiques, légales et politiques. Souvent privés des libertés et des droits fondamentaux, ils font partie des peuples les plus désavantagés et vulnérables de la planète. Ils ont perdu le contrôle de la majorité de leurs terres ancestrales, ont peu ou rien à dire sur les décisions les affectant, sont l’objet de projets et de décisions qui ne sont pas adaptés à leurs besoins ou qui sont même souvent nuisibles à leur santé, leur vie économique, sociale et culturelle. Ces mauvaises conditions, vécues par le peuple touareg, sont encore pires pour les femmes tamachek.

La monogamie est la règle, même si les remariages sont fréquents ; la vie nomade, où la disette succède à l'abondance, interdit les familles nombreuses. La femme règne sur l'univers de la tente et en cas de divorce, c’est l'homme et non la femme qui est souvent contraint de partir. Détentrice de savoirs, elle inculque à l'enfant, dès sa prime jeunesse, les valeurs sociétales, en lui enseignant la musique, la poésie, l'écriture et la divination. Quand les hommes partaient faire paître les animaux, commercer ou guerroyer durant de longues périodes, les femmes étaient dépositaires de la culture et des traditions dans les campements. La séparation des biens est le seul régime matrimonial connu chez les Touaregs même si certains biens communs sont affectés aux besoins du foyer. Dans tous les cas, bien que le mari soit formellement le responsable de la famille, les décisions, de toute évidence, se prennent ensemble.

Sur le plan économique, la femme dispose de ses propres biens dont elle jouit librement sans que personne (père, frère ou mari) n’y trouve à redire. Tout au long du mariage la femme touarègue collectionne des bijoux de valeur, dont hériteront exclusivement sa ou ses filles.

Après le mariage, la femme continue de gérer sa dot, qu'elle conserve en cas de divorce. Il faut, cependant, noter que la femme divorcée ne bénéfice d'aucune pension alimentaire. Celle-ci est accordée aux enfants en bas âge, seulement lorsque la mère n'a pas les moyens de les prendre en charge. En outre, la coutume veut qu'en cas de rupture des liens du mariage, la garde des enfants se fasse en fonction du sexe de ceux-ci ou sur la base d'une concertation.

C'est en général le père qui a la garde des garçons et la mère celle des filles. L'intérêt des enfants semble être pris en compte, le père se chargeant de la formation des garçons tandis que la mère veille à donner une éducation « modèle » aux filles. Le droit de visite est inviolable et il n'est pas rare de voir, un(e) ancien(ne) époux(se), séjourner longuement dans le campement où vivent les enfants dont l'autre a la garde.

La femme tamachek aujourd’hui

Aujourd'hui, la femme tamachek (ou touarègue) se trouve à la croisée de l’histoire : trois chemins, celui du passé mythique, celui d'un présent troublé, bouleversé, et celui enfin d'un futur incertain. Si l'on ne prend garde, la tentation est grande de continuer à ériger la femme en gardienne de traditions désuètes et de la hisser sur un piédestal pour mieux la juguler afin qu'elle reste un modèle obligé de vertu. Subtilement ou inconsciemment, la femme tamachek est prise dans un jeu peu clair sous les apparences d'une préservation ambiguë des traditions. Elle a perdu ses habitudes, elle est dans un présent où elle ne se retrouve plus par rapport aux changements modernes. Dans la société les conditions pour remplir ses obligations ne sont pas réunies. Elle a, par exemple, le devoir de pourvoir à la famille mais n’en a, très souvent, pas les moyens économiques.

La tradition veut que la femme soit généreuse, réceptive, accueillante, disponible lorsqu’il s’agit de recevoir des visiteurs ou d’aider les membres de la famille. Mais ces bonnes valeurs peuvent très difficilement être sauvegardées puisqu’en milieu sédentaire, et même dans la plupart des campements, les moyens et possibilités de l’environnement d’antan n’existent plus.

Analyses des causes

Les problèmes auxquels sont confrontées les femmes tamachek sont dus à plusieurs facteurs dont l’origine remonte à la colonisation et à la décolonisation et qui ont causé un bouleversement considérable du mode de vie des Touaregs en général et du statut de la femme en particulier.

Durant la colonisation, des hommes, sinon des familles entières, ont été massacrés ou déportés, laissant souvent la femme seule pour gérer la famille. La décolonisation n’a pas tenu compte de l’organisation et du mode de vie traditionnels des Touaregs. Au contraire, on leur a imposé un nouveau mode de vie, totalement étranger. C’est pourquoi, par exemple, le système éducatif, qui est la base de tout développement d’un peuple, a été un échec complet en milieu tamachek puisqu’il ne correspond en rien à leur réalité.

La position traditionnellement « privilégiée » de la femme tamacheck a également changé. Dans une société de plus en plus marquée par le poids du mâle dominateur, il ne faudrait pas occulter que certaines coutumes hypothèquent dangereusement l'épanouissement de la femme : les mariages précoces, souvent coercitifs et fréquemment endogames, les accouchements sans assistance médicale, la méconnaissance de la contraception, l'absence d'éducation sexuelle et d'informations sur les questions de santé de la reproduction, les dots prohibitives, les divorces fréquents et les répudiations courantes, la non-scolarisation des filles, sont autant de facteurs de marginalisation des femmes touarègues.

Les difficultés que vivent ces femmes aujourd’hui sont également liées au déséquilibre provoqué dans la société par les nombreux conflits armés de ces dernières années entre les mouvements armés touarègues et certains états du Sahel, ainsi qu’aux épidémies de rougeole, méningite, choléra et aux années de sécheresse, qui ont ravagé le Sahel et le Sahara.

Tous ces facteurs ont eu des répercussions directes sur la situation des femmes : beaucoup se sont retrouvées seules avec des enfants à charge ; d’autres ont dû s’exiler, vivre dans des camps de réfugiés ou dans les bidonvilles aux alentours des villes où elles n’ont pas les moyens de pourvoir aux besoins de leur famille. C’est par exemple le cas des femmes de Dapoya à Ouagadougou (Burkina Faso), des femmes touarègues qui survivent de gardiennage de chantiers, de maison et d’artisanat.

La rencontre et le voisinage avec d’autres cultures, où la position de la femme n’est pas favorable, conduit des femmes ou des hommes à penser que le comportement des autres est meilleur, ce qui incite les hommes à pratiquer la polygamie et les femmes à l’accepter. Il leur arrive de penser que pour être une bonne mère de famille, il faut être très soumise à son époux. Il y a même des cas, rares, d’excision sous l’influence de voisins qui la pratiquent traditionnellement. À cela viennent s’ajouter un analphabétisme accentué dû au taux de scolarisation très bas des femmes, et l’ignorance de leurs droits les plus élémentaires.

Même quand elles connaissent leurs droits, elles gardent une sorte de pudeur culturelle qui les freine dans leurs revendications auprès de la justice. Un autre problème est le manque d’encadrement, de sensibilisation, d’information, d’éducation et d’organisation, autres facteurs qui constituent un frein au développement socio-économique et à l’épanouissement des femmes touarègues.

Les partenaires au développement ne s’intéressent pas suffisamment aux problèmes des femmes. Souvent, les projets de développement ne comportent pas l’information nécessaire à la compréhension de la situation des femmes ou bien méconnaissent leurs difficultés. En effet, les interventions en leur faveur sont presque inexistantes et les projets, souvent mal adaptés à leurs besoins, n’éveillent pas, de ce fait, l’intérêt des femmes censées en bénéficier.Au niveau des prises de décision nationales et locales, les femmes sont sans voix : au niveau national elles sont absentes des institutions étatiques et, en conséquence, oubliées. Au niveau local, seuls les hommes sont présents là où se prennent les décisions (municipalités,  commune, etc.).

Solutions apportées et perspectives

En dépit de toutes ces difficultés rencontrées par les femmes touarègues - les conflits, une pauvreté extrême, l’exil - certaines ont pris conscience de leur situation et se sont regroupées en coopératives, associations et réseaux pour mieux faire face à l’avenir. C’est un éveil de leur conscience à travers leur adaptation à la vie actuelle.

L’Association  Tin Hinan est née de cette réalité. Elle fonde son action sur les droits humains et, plus spécifiquement, sur les droits de la femme, des jeunes et les droits des peuples autochtones.

La stratégie de Tin Hinan a été d’accompagner des dynamiques de changement et de mobiliser autour des thèmes de l’éducation, de la promotion des droits humains, de la scolarisation des filles, de la formation, de l’alphabétisation, de la création des moyens d’existence, de l’amélioration des conditions de santé, etc. Avec d’autres organisations de femmes touarègues comme  Tounfa, Tidawt et des organisations de femmes autochtones Masai, Pygmées, Batwa, San, Mbororos, Pokot, etc. Tin Hinan a participé à la fondation de l’OAFA (Organisation Africaine des Femmes Autochtones) en avril 1998. L’objectif de cette organisation est de défendre et de promouvoir les droits humains et les intérêts des femmes et peuples autochtones d’Afrique.

Malgré le dynamisme des dirigeantes autochtones de ces organisations, celles-ci se sont heurtées à un certain nombre de problèmes : le poids de la culture, l’inégalité des chances, la non reconnaissance de certains de leurs droits, l’analphabétisme, etc. Tant de barrières et  de préjugés contre lesquels les femmes doivent lutter afin de devenir plus efficaces dans leur combat de tous les jours.

Il est cependant essentiel que les organisations de femmes autochtones participent d’une manière effective à la promotion et à la protection de leurs droits dans l’intérêt direct de leurs familles, de leurs communautés, de leur pays et de toute l’humanité. L’aspiration au respect des droits humains en général, de la femme et des peuples autochtones en particulier, ne pourrait se concrétiser sans leur participation. Ceci implique la nécessité de renforcer les capacités de leurs organisations et réseaux à tous les niveaux, afin que les femmes puissent aller au-delà de tous les obstacles et préjugés pour s’épanouir et aspirer à un bonheur digne de ce nom : l’émancipation de toutes les femmes.
 

 

Aller à la liste des dossiers thématiques                    Suite (photoreportages, carnets de route et autres ressources sur ce thème) >>

Hébergement Torop.Net - Mise à jour WSB.Torop.Net